Quand j'ai lu ce roman pour la première fois, je me suis retrouvée démunie pour rédiger un commentaire, parce qu'il m'était passé complètement à côté. Ce n'est même pas que je l'avais pris à contre-sens, auquel cas j'aurais au moins été sur la bonne "route", non, moi j'avais pris une route complètement parallèle à la bonne. Le résultat c'était un détachement complet de l'intrigue et des personnages. Je suis restée complètement indifférente à cet ouvrage, mon cœur n'a été touché d'aucune manière. Je n'étais contente de l'avoir lu que parce que c'est un classique, que c'était de la culture littéraire.
Je ne l'ai bien sûr pas trouvé joyeux, mais je m'y attendais (vu sa réputation), et une sensation de noirceur ou de malaise comme beaucoup de lecteurs décrivent leur expérience ne m'aurait pas du tout gênée.
Par exemple, j'ai eu cette sensation de malaise en lisant
Le livre des choses perdues de John Connolly. Certains passages m'ont paru affreusement glauques et même malsains, sans recourir à des facilités. Mais quelque part "j'aime" cette sensation, je veux dire que ce n'est pas ce que je lis pour me remonter le moral, mais je trouve ça fascinant comme un auteur peut me faire éprouver ces émotions avec aussi "peu" si l'on veut. C'est facile d'écœurer un lecteur en décrivant avec quantité de détails gores une scène macabre comme un sacrifice humain ou un affreux fait divers inspiré de la réalité. Mais là on aurait dit que l'auteur allait rechercher dans nos peurs et notre imaginaire de l'enfance pour nous faire éprouver cette répulsion.
Bref, je m'égare mais c'est pour mieux souligner que j'aurais aimé avoir un ressenti semblable avec Emily Brontë.
Les personnages ne sont pas seulement désagréables, ils sont également bizarres et incompréhensibles. Je peux m'attacher à un personnage si j'arrive à comprendre sa psyché et trouve ses actions crédibles, même s'il est désagréable. Et même un personnage que je n'aime pas, peut tout de même me sembler fascinant sur le plan littéraire (St John dans
Jane Eyre). Mais ici c'est impossible car je trouve les principaux protagonistes (Heathcliff, Cathy mère et Hindley) complètement absurdes. Ils n'ont pas de corps en dehors de leurs actes négatifs. Ils ne peuvent pas me fasciner car je n'arrive pas à les suivre ni à les comprendre, et leurs actes me paraissent tellement sur-joués
... En fait ils me font l'effet de personnages de tragédies grecques, complètement dans l'excès et donc, dans ce contexte de roman anglais victorien, un peu grotesques.
Très clairement j'ai eu une impression de mélange entre romans anglais et tragédie grecque pour certains aspects (d'ailleurs Emily était une grande connaisseuse il me semble). Je dois avouer que le résultat ne m'a pas convaincue.
Le personnage d'Heathcliff est étrange, je sais qu'il est souvent excusé à cause de ce qu'il a vécu enfant mais même à cet âge, je trouve qu'il a quelque chose de tordu. Je ne le qualifierais peut-être pas de démon comme le fait Nelly, mais je pense qu'elle a mis le doigt sur quelque chose. Quand elle-même reconnaît qu'il la mettait mal à l'aise sans savoir pourquoi, ça m'évoque le personnage de Jean-Baptiste Grenouille dans
le Parfum. Bien sûr c'est une dynamique complètement différente qui est à l'œuvre mais ce personnage aussi met les autres mal à l'aise sans que ces derniers sachent pourquoi.
Cathy est certes égoïste mais Heathcliff a quelque chose d'inhumain. Il n'est pas une victime totalement innocente. Son amour pour Cathy est la seule chose positive du personnage, et c'est loin d'être suffisant ou assez bon pour une rédemption. Qu'il se venge sur ses ennemis, ceux qui lui ont fait du tort, je comprends. Mais qu'il s'en prenne à la génération suivante est absolument inexcusable. Je me fiche qu'il ait souffert, il ne mérite aucune pardon pour moi, son attitude a été incroyablement mesquine, lâche (il maltraite des enfants) et bien basse. Mais je peux comprendre que des lecteurs apprécient le personnage quand même, on n'est pas réduit à n'aimer que les personnages bons.
Cathy mère est, elle, capricieuse et infernale, vraiment pourrie gâtée. Mais je comprends son mariage. Je sais que le contexte du récit est tellement étrange qu'il apparaît déconnecté des réalités, mais les conventions ne disparaissent pas : Cathy est membre de la gentry locale, Heathcliff est un enfant trouvé dont le prénom lui sert également de nom de famille, je ne sais même pas s'il a une existence légale dans sa jeunesse. Si Cathy l'épousait il se passerait quoi ? Ils vivraient de quoi ? Et elle-même dégringolerait jusqu'au plus bas de l'échelle sociale. Franchement je ne lui en veux pas de son choix, il ne faut pas oublier que la société n'était vraiment pas la même à l'époque.
J'en arrive maintenant à l'amour qui unit les deux principaux protagonistes. Je trouve cet amour plus animal qu'humain, c'est quelque chose d'instinctif plutôt que réfléchi, qui les prend vraiment aux tripes. D'un point de vue humain, c'est une passion plutôt que de l'amour, il y a trop de dureté et d'égoïsme dans leurs sentiments pour être de l'amour. Quelqu'un a dit qu'il s'agissait du type même de l'amour passion : violent, stérile et fatal. Je suis entièrement d'accord et j'ajouterai que c'est un élément qui m'évoque encore les tragédies grecques.
Quelqu'un sur ce forum (un invité)
Quant au sentiment d'inceste qui plane sur tout le roman, j'avoue que je me suis moi-même posé la question de savoir si Heathcliff n'était pas le fils naturel du vieil Earnshaw. J'ai lu quelque chose à propos d'une impression d'ambiguïté voulue par l'auteure concernant les origines de Heathcliff et pour les éléments qui vont dans ce sens on peut relever que leur relation "n'aboutit pas à un mariage", que "leurs descendants ne pourront pas s'unir" (charnellement), et enfin le nom de Heathcliff qui "était à la base celui d'un fils mort en bas âge".
Pour le style, je dois avouer que je ne le trouve pas spécialement magnifique. Il y a quelques passages et scènes belles dans leur genre : comme le passage au début avec le fantôme de Cathy, et le rêve que fait cette dernière lorsqu'elle est rejetée du paradis sur la lande, magnifique car en résonance avec l'amour d'Emily pour sa lande chérie :love1:. Mais à part ces exceptions, je trouve le style seulement travaillé. Ce qui n'est déjà pas mal, mais je n'ai pas été emportée dans le tourbillon d'Emily Brontë, notamment lors de dialogues ou longs monologues qui sonnaient faux à mon goût.
Au final, je me trouvais bien plus émue par la chanson éponyme (de Kate Bush) que par le roman. Elle éveille un sentiment d'étrangeté et je la trouve hypnotisante : ce sont les sensations qu'aurait dû me procurer le roman
.
Je suis également plus intéressée par la fratrie Brontë et leurs histoires de famille que par les
Hauts de Hurlevent. Mais je suis très intriguée par tout ce qui entoure cette œuvre : son auteure, la façon dont le roman a été imaginé, conçu, les réactions des proches...
Toutefois j'ai depuis eu l'occasion de relire le roman, de m'en imprégner et de voir des adaptations. Si ce n'est toujours pas un coup de cœur, je l'apprécie aujourd'hui beaucoup plus.
Comme le disait un invité sur ce forum, qui a mis le doigt sur ce que je ressens, c'est notamment son côté quasiment mythique qui me plaît, de réalité supérieure à la nôtre. De ce fait, la violence des personnages est
absolue, peu humaine et donc ne pas m'y identifier me dérange moins, ils sont presque des figures de légende. Ce roman dépasse l'humain, ça vient sans doute de la personnalité si particulière et riche d'Emily, celle qui lui a permis de créer le monde de Gondal et son folklore.
Concernant Cathy et Heathcliff,
Popila a dit quelque chose de très intéressant à leur propos (je ne la cite pas car c'était dans un autre sujet) : "ils ont gardé la cruauté et la sauvagerie de l'enfance (renforcées par le fait qu'ils ont été complètement laissés à eux-mêmes). Je crois que l'auteur avait une part en elle de ce caractère sauvage et cruel de l'enfance, cette dimension gigantique dans les sentiments : l'amour et la haine portés aux points les plus extrêmes.
En grandissant, Catherine et Heathcliff finissent par singer les adultes (Catherine, surtout) et par adopter leurs conventions sociales, mais c'est au détriment de la sincérité de l'âme."
Je n'y avais jamais pensé mais maintenant que je lis ça, ça me semble extrêmement juste. D'ailleurs Cathy regrette profondément son enfance à la fin de sa vie, elle ne souhaite rien d'autre que redevenir une enfant pour être libre.
L'enfance qui est décrite n'a rien d'innocent ou de rose, mais elle est libre, sauvage et féerique au sens plus sombre et ancien du terme, je pense au côté inquiétant et même parfois dangereux qu'on assignait autrefois aux fées. Cathy et Heathcliff passaient autrefois tout leur temps dans la lande, évoquant pour moi en cela des sortes d'esprits de la nature, ni bons ni mauvais : amoraux.
Je ne peux m'empêcher de trouver que tout cela résonne avec l'amour passionnel (peut-être même sensuel) qui liait Emily à ses landes chéries, à sa légende si particulière. On pourrait presque en faire une fée Viviane...